La Brigade des Crimes Parfaits – Chap. 43

3 h 11

            Je m’installe à l’avant, juste à côté d’Estelle qui prend le volant. Nous démarrons et le véhicule s’enfonce sous le périphérique. Manu vient de partir de son côté avec des gardiens de la paix qui doivent le ramener à l’Embouchure pour lui permettre de suivre la piste du tueur, rassembler le plus d’informations à son sujet, trouver son domicile pour organiser au plus tôt sa perquisition, et également passer la caméra à Damien pour en extraire le film qui confirmera sa culpabilité tout en justifiant ma réaction.

            — C’est quoi ce bordel, Vic ? s’empresse de me demander ma collègue.

            Je m’y attendais et ne cherche pas à lui raconter des craques. Pas à elle. Pas si je veux qu’elle continue à m’accorder sa confiance.

            — Marion Salois est une ancienne copine d’un Cagoulé incarcéré au Portugal, lui révélé-je. Il s’agit d’Evan Atkins. Un Irlandais du Nord qui a aussi travaillé chez FTR.

            Ses yeux restent rivés à la chaussée, ses traits n’exprimant aucune surprise, juste de la concentration. Je poursuis.

            — Ils n’étaient pas mariés et c’est en partie la raison pour laquelle nous ne l’avions pas repérée. En partie seulement, parce qu’Evan Atkins avait pris ses précautions pour bien séparer ses occupations délinquantes de sa vie privée. Par exemple, il n’a pas reconnu le fils qu’il a eu avec elle.

            — Incroyable, murmure-t-elle.

            Nous approchons de la route de Blagnac. Notre trajet ne va pas s’éterniser.

            — Je ne connais rien de leur passé, mais Marion Salois semblait encore profiter des largesses de son gangster de petit ami, précisé-je. Elle vit dans une maison spacieuse et a pu bénéficier d’un emploi au moment idéal, peu de temps après l’arrestation d’Atkins. Bref, j’ai bien l’impression que les commanditaires de son homme se sont arrangés pour qu’elle ne manque de rien.

            Estelle tourne dans la rue de la Fourmi.

            — Mais ça ne les a pas empêchés de la condamner à mort, remarque-t-elle.

            Je garde le silence, la gorge douloureuse.

            — Quelque chose me dit que tu n’es pas étranger à ce revirement, je me trompe ?

            — Non, maugréé-je. Je ne sais pas comment, mais ils ont compris que nous nous rencontrions. Ils ont dû penser qu’elle les trahissait. C’est certainement la raison qui a justifié son exécution.

            — Qui a été organisée via l’application que nous venons d’infiltrer, ajoute Estelle, démontrant que, comme moi, elle a fait le lien avec la demande d’assassinat apparue dans la liste des Indulgences du logiciel de l’Alliance Palladium. Ça fait beaucoup.

            La maison approche, au bout de la rue, juste en contrebas de la digue. La voie foisonne de voitures de police. Je repère également un autre fourgon du SAMU. Des lumières bleues dansent sur les façades des propriétés alentour. Estelle se gare au bout de la file. Elle ne sort pas pour autant de l’habitacle.

            — Qui t’a informé sur cette femme ? m’interroge-t-elle, les mains toujours sur le volant, le regard perdu vers le sommet de la butte.

            — Un indic.

            Quand elle se tourne vers moi, un masque sévère métamorphose son visage.

            — Ne me dis pas que c’est lui…

            Je sais à qui elle pense. Salvatore Conti. Ses neurones ne cessent de m’impressionner. J’ai de la chance de l’avoir dans mon équipe. Je me contente de hocher la tête, confus, et elle frappe le tableau de bord, me faisant sursauter. Ravalant ma honte gonflée par la culpabilité d’avoir encore une fois cédé à mon pire défaut, celui de croire trop souvent que je suis assez malin pour me débrouiller seul quand l’appel de la chasse me happe, je me souviens que l’intellectuel sulfureux nous a également orientés sur l’Irakien. Tout ça ne peut pas être fortuit. Conti ne m’a pas tout dit. Il doit en savoir plus long sur cette histoire de logiciel criminel. Peut-être l’a-t-il même déjà infiltré et il s’est retourné vers moi quand il a jugé qu’il était temps que la police intervienne.

            La gorge douloureuse, je m’extrais du véhicule soudain trop confiné pour contenir nos deux personnes et Estelle m’imite en me fusillant des yeux. La porte du garage est toujours grande ouverte et j’en profite pour pénétrer dans la maison, ma mauvaise conscience dans mon sillage. À l’intérieur, des flics en uniforme ou en civil s’écartent sur mon passage en évitant de me regarder. La nouvelle de ma présence sur le lieu du crime a dû se diffuser à la vitesse de l’éclair.

            Arrivé dans le couloir, je m’immobilise, redoutant de revenir dans le salon qui abrite le cadavre de Marion. La culpabilité m’étreint, se manifestant dans une respiration difficile. Mais une force invisible me porte. J’ai besoin de la contempler en pleine lumière, de me confronter à ce cauchemar vécu dans les ténèbres. J’avance comme un automate, en silence.

            Un rire droit devant, rapidement étouffé.

            Je me dis que c’est normal, que mes collègues font leur travail et qu’ils ne connaissaient pas celle qui git à leurs pieds. Rares sont les tâches plus pénibles et ils peuvent bien se détendre. Mais pas moi. En pénétrant dans la pièce, j’aperçois quatre agents de l’Identité judiciaire, accroupis, en combinaison immaculée. Je me fige en remarquant les pieds nus. Ils dépassent de la banque qui sépare l’espace, non loin du réfrigérateur.

            — Bon, alors, qu’est-ce qu’on fait ? m’interroge Estelle, immobile à mes côtés.

            En l’entendant, un des techniciens capte notre présence et se relève. Il enlève son masque, me révélant des traits féminins. Claire Saint-André me dévisage en s’approchant, le visage grave. Comme tous les autres, elle sait que je me trouvais avec la victime quand une balle a défoncé son crâne.

            — Victor ? insiste Estelle.

            Je dois me ressaisir. Si je peux encore être utile à quelque chose, c’est bien à comprendre ce qui vient de se passer, et faire payer ceux qui ont décidé de tuer la jeune femme.

            — Il faut fouiller cette baraque, affirmé-je, alors que Claire se fige devant nous.

            — On cherche quoi ? demande Estelle.

            — Tout ce qui pourrait relier Marion Salois aux Cagoulés ou au réseau criminel. Nous devons emporter l’ensemble de ses documents personnels, fiches de paye, correspondances, factures, déclarations d’impôts. Et pareil pour son matériel informatique. Commence, je te rejoins tout de suite.

            Elle s’exécute, m’abandonnant avec Claire dont le regard chargé de compassion me désarçonne. Je redoute ses questions. Je n’ai pas envie de lui expliquer ce que je faisais là.

            — Je suis vraiment désolée, murmure-t-elle.

            Mes yeux s’échappent vers le sol. Je sens des larmes se former à la jonction de mes paupières. Je déglutis.

            — J’ai merdé, je lui dis. Putain, j’ai merdé. Je ne voulais pas ça…

            — Je sais.

            — Elle était là, devant le frigo, et j’ai vu un point rouge sur son front, juste avant que sa tête explose. J’ai pas eu le temps de crier.

            — Ce gars l’attendait. Tout était joué d’avance.

            Elle montre du doigt l’endroit où il était posté, de l’autre côté de la baie vitrée trouée de deux balles et je découvre que deux techniciens supplémentaires fouillent la pente boisée de la digue. Des projecteurs diffusent une lumière puissante pour ne louper aucun indice.

            — Il était là, hein ?

            — Oui. Assis bien sagement dans le noir.

            — C’est qui, ce type ?

            — Nous n’avons qu’un nom, pour l’instant.

            — En tout cas, c’est un pro. Il n’était pas bien loin, mais ses deux tirs n’ont laissé aucune chance à la victime. La tête et le cœur. Impossible de survivre à ça.

            — Il a payé.

            — J’ai cru comprendre. D’une manière plus primitive, à ce qu’il me semble.

            — J’ai fait avec ce que j’ai trouvé sous la main.

            — Tu peux envisager une reconversion dans la filière du bois.

            Un exploit, elle m’arrache un sourire.

            — Je n’ai fait que me défendre.

            — Qu’est-ce que ça doit être, quand tu attaques !

            Je soupire, comme si une grue enlevait une tonne de béton de ma poitrine. Cette conversation me fait du bien.

            — OK, Vic, murmure Claire. Je vais quand même m’y remettre.

            — Merci, je lui rétorque, incapable de dire autre chose.

            La responsable de la Scientifique me sourit avant de rejoindre ses collègues et je fais de même avec Estelle, la retrouvant rapidement dans une chambre spacieuse, décorée avec soin, et équipée d’un lit dans lequel je ne m’allongerais jamais. Je repère un petit bureau avec un moniteur et une imprimante. L’unité centrale est déjà rangée à côté de la porte, prête à être emportée. Un carton commence aussi à se remplir de paperasse.

            — Alors ? je lui demande.

            — On ramasse tout et on verra plus tard.

            — OK, approuvé-je.

            Un peu perdu, mon attention se porte vers le placard et l’enfilade de robes suspendues à des cintres. Une rouge capte mon regard, échancrée, provocante. Je ne peux m’empêcher de l’imaginer sur elle et m’empresse de chasser cette chimère. Je lève la tête. Une tablette au-dessus supporte une boite en osier. Je m’en empare et l’ouvre avant de poser le tout au sol. Une perruque brune à l’intérieur. Le visage de Marion se transforme. J’extrapole sans le décider. C’est plus fort que moi. Et je me dis qu’elle devait être belle, avec ces longs cheveux sombres et sa tenue écarlate. L’image m’en évoque une autre, engendrée par les mots de Guilhem Canillac, lors de son audition.

            Je m’assois sur le lit.

            Est-il possible que la femme mystérieuse qui l’a entrainé à l’hôtel pour le priver d’alibi soit la même qui git dans la cuisine ? Un juron m’échappe, du genre sexiste. Estelle se tourne vers moi, les yeux hagards. Je prends la perruque d’une main et me relève pour m’emparer de la robe de l’autre, plaçant la première au-dessus de la seconde, juste devant moi.

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Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

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