« La Forêt sombre » de Liu Cixin : pour vivre heureux, vivons cachés !

Avertissement : cet article concerne la suite du roman « Le problème à trois corps » à qui j’ai consacré la première chronique postée sur ce blog (un peu trop courte, je ne le réalise que maintenant au regard de mes partages postérieurs : voilà pourquoi je vais tenter de me rattraper…). Si vous n’avez pas lu ce premier tome, je vous prie donc d’arrêter tout de suite cette lecture ! Et si cette œuvre vous intéresse, vous pouvez toujours cliquer ici pour consulter mon premier avis, mais je vous conseille surtout de vous plonger au plus tôt dans « Le problème à trois corps ». Dès ses premiers chapitres, je suis persuadé que, comme moi, vous serez emporté dans l’exploration de cet univers magistral !

Je viens juste de dévorer les 656 pages de « La Forêt sombre » et j’en sors sonné, émerveillé (et je l’avoue, un peu terrifié…), et surtout convaincu d’avoir fait une rencontre essentielle avec un des écrivains majeurs de notre époque. Même si je dois encore boulotter le troisième et dernier tome, je place déjà cette série au niveau du cycle de Dune de Frank Herbert, une de mes lectures préférées, c’est pour dire ! Il ne me reste donc plus qu’à vous convertir en vous expliquant les raisons de mon enthousiasme…

Commençons par brosser en quelques traits grossiers la situation de départ… Elle est simple et logique, car nous reprenons l’histoire où nous l’avons laissée à la fin du livre précédent : le premier contact avec la civilisation extraterrestre trisolarienne a eu lieu et ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle. Les preuves sont là, incontestables et effroyables. Une flotte ennemie composée de mille vaisseaux vient d’entamer son odyssée stellaire pour détruire l’humanité et la remplacer sur la Terre. Le compte à rebours est enclenché. Il ne nous reste plus que 400 ans pour imaginer une réponse capable d’empêcher notre anéantissement. Le souci : grâce à une technologie supérieure basée sur les intellectrons, des objets de la taille de particules subatomiques voyageant de manière presque instantanée, les Trisolariens gèlent les progrès de la physique fondamentale. En outre, avec leur concours, ils peuvent intercepter la totalité des informations échangées sur notre planète et aussi communiquer avec l’Organisation Terre-Trisolaris (OTT), un groupe extrémiste qui a statué que l’humanité ne méritait pas de survivre au regard de ses crimes passés et présents (contre elle-même et la nature). Ces derniers se mettent donc au service des Trisolariens qu’ils considèrent à l’égal des Dieux pour contrecarrer tous les plans que peuvent imaginer leurs contemporains pour éviter l’enfer qui s’approche. La situation modifie en profondeur les relations internationales et les États tentent de résoudre ce problème insoluble. Un courant défaitiste et évasionniste émerge, estimant que la seule option réside dans la fuite, mais il est rapidement interdit, car il est jugé impossible de sauver par ce biais l’ensemble de la population mondiale et, ainsi, il reviendrait à condamner à mort des milliards de personnes. Dans ces ténèbres, l’unique atout de l’humanité se niche dans une caractéristique propre aux Trisolariens, à la fois un don et une faiblesse. L’incroyable supériorité intellectuelle de ces derniers s’est en effet développée grâce à la télépathie. Leurs rapports se dispensant du langage, ils ne connaissent donc pas la notion de mensonge (ils ne le découvrent que par l’entremise des Terriens qui collaborent avec eux). Ainsi, les dirigeants de notre planète, via l’ONU, imaginent et lancent le programme Colmateurs. Quatre individus sont sélectionnés parmi l’ensemble de la population mondiale, dont trois personnalités d’exception (un scientifique, un politique et un stratège) et Luo Ji, un astronome sans envergure qui ne saisit pas très bien ce qu’il fait là. Chacun se verra confier des ressources immenses pour concevoir un plan capable de sauver l’humanité. Les intellectrons les épiant en permanence, ils devront le mettre en œuvre sans jamais pouvoir le dévoiler à quiconque et surtout en s’attachant à cacher sa finalité, voire en la rendant incompréhensible. Face à eux, les Trisolariens conçoivent une parade en demandant à l’OTT de choisir dans leurs rangs autant de Fissureurs. Leur mission : percer à jour la stratégie des Colmateurs.

Sur cette base captivante, le récit peut se déployer dans une suite de rebondissements qui pousse sa logique dans ses retranchements, s’amusant à nous perdre tout en respectant une structure solide, et surtout en libérant une imagination explosant toutes les frontières. De multiples forces se combinent pour accroître sa puissance narrative. D’abord le don de l’auteur pour susciter notre intérêt dans un suspense inégalé. Les thèmes abordés y participent en étant très bien documentés et maîtrisés. Une liste non exhaustive pour vous mettre en appétit : les défis de l’altérité, de l’écologie, les rapports internes aux différentes collectivités terriennes, l’exploration de progrès scientifiques dans de nombreuses applications (la lutte contre le réchauffement climatique, l’ascenseur spatial, la fusion nucléaire, l’hibernation, les stratégies de combat dans l’espace, la composition de la matière…), etc. Je vous laisse découvrir tous les autres… Et puis, malgré l’angoisse qui nous porte jusqu’à la fin, le récit n’est pas dénué d’humour et je me suis souvent surpris à éclater de rire à la lecture de situations et retournements cocasses dont le surgissement ne cède pourtant rien à la logique de réactions simplement humaines. Bien entendu, nous restons dans un roman et cette histoire s’incarne dans une multitude de personnages. Tous crédibles, leur nombre important ne pose jamais un souci. Dans cette galerie, les principaux m’ont séduit et je me limiterai à en citer quatre : d’abord Shi Qiang, le policier bourru et malicieux, toujours mon préféré, le colmateur Luo Ji, émouvant dans ses faiblesses, mais également impressionnant dans ses fulgurances (sentimentales comme globales), le commissaire politique dans la marine chinoise Zhang Beihai et sa détermination sans faille, et enfin l’éminent docteur en physique Ding Yi bouleversant de sagesse. J’ai conscience que cette liste manque de personnages féminins, mais ce n’est sans doute qu’un juste retour des choses quand on se rappelle que tout a commencé avec Ye Wenjie, dans « Le problème à trois corps », sans qui rien n’aurait été possible…

Je finirai cette chronique en précisant que ce livre tient ses promesses jusqu’à la fin. Sa chute m’apparaît lumineuse et la réflexion, terrible, qui a permis son avènement, mérite pleinement de figurer dans un traité de philosophie. Elle accomplit l’exploit d’interroger le paradoxe de Fermi tout en avançant une réponse sensée qui justifie le titre de cet ouvrage. Exposé au zéro absolu des abysses célestes, mon regard sur la Voie lactée, les nuits d’été, en a été bouleversé à jamais. Et rien que pour ça, cette lecture singulière est essentielle. Alors, je vous en prie, laissez-vous tenter par ce voyage ! Pensez-y : notre survie est en jeu !

Stéphane Furlan

Caractéristiques détaillées :

Auteur : Liu Cixin

Éditeur : Actes Sud

Date de parution : octobre 2017

ISBN : 978-2-330-08231-4

Nombre de pages : 656

Format : 145×240 mm

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Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

2 commentaires sur « « La Forêt sombre » de Liu Cixin : pour vivre heureux, vivons cachés ! »

  1. Tout à fait d’accord Liu Cixin à la hauteur de Dune.
    Entre parenthèse vu le film hier, pas mal mais comme toujours dans l’adaptation des romans SF, l’aspect batailles prend le pas sur tout le reste…
    Bonne soirée !

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