Mardi 7 avril, 1 h 12
Je ne trouve pas le sommeil.
Quand je suis revenu à Borderouge, j’ai bien tenté d’improviser une occupation susceptible de m’offrir quelques instants de répit, allumant d’abord le poste de télévision et zappant comme un forcené d’un débat politique à une émission de variétés, sans oublier plusieurs séries dont je ne connaissais aucuns acteurs, pour finir par rester bloqué sur les informations de France 3 qui passaient en boucle les images du séisme à Aquila, en Italie, survenu la nuit précédente.
Après un quart d’heure consacré à la contemplation du malheur d’autrui, j’en suis arrivé à la conclusion que cet écran ne parviendrait pas à me remonter le moral. Déprimé, j’ai pensé piocher un film dans mon stock de DVD, mais aucun n’a trouvé grâce à mes yeux. Un peu consterné, je me suis rabattu sur le roman déjà entamé une semaine plus tôt, Zulu de Caryl Férey, mais ces pages, qui me téléportent sans peine d’habitude en Afrique du Sud à la lecture des premières phrases, ont été impuissantes à chasser la projection récurrente du corps nu de Sophie possédé par un autre. Après avoir abandonné le bouquin au pied de mon lit, mes muscles endoloris par une fatigue démesurée, j’ai bien tenté d’éteindre la lumière en espérant trouver le sommeil, mais j’ai bien dû me rendre à l’évidence après m’être retourné une bonne vingtaine de fois sur mon matelas trop vaste. Nulle possibilité d’atteindre le repos dans mon état. Alors autant me consacrer à la résolution de l’enquête dont j’ai la charge.
De nouveau dans le salon, je consulte les dernières notes gribouillées sur mon calepin et une image s’impose. Celle de la clé USB donnée par Thomas Jarric cet après-midi, quand je suis allé lui rendre visite avec Serge. Elle patiente encore quelque part à l’intérieur d’une des poches de mon manteau. Bien que de contempler les ébats de trois gamins ne me réjouit pas vraiment après avoir surpris Sophie dans les bras d’un autre, ma curiosité finit par l’emporter. La vidéo cache peut-être des informations capables d’éclairer sous un nouveau jour le meurtre d’Aymeric Dedieu.
Je clique sur le fichier, le seul enregistré sur le support, et une scène s’affiche à l’écran, statique, celle d’un lit immense accueillant les silhouettes dénudées de deux personnes. Un garçon et une fille enlacés, blonds tous les deux et baignant dans la lumière d’une lampe de chevet. Il m’est impossible de déterminer leurs identités car ils portent des loups, un de type vénitien pour la jeune femme alors que son partenaire arbore un simple bandeau noir évoquant le célèbre renard latino.
Je lance le film et les corps s’animent. Pour l’instant, ils se contentent de s’embrasser, le héros de cette production passant sa paume libre sur la peau offerte du ventre de sa partenaire, puis le haut de ses hanches, remontant doucement vers sa poitrine. Sa compagne l’étreint d’un bras quand son autre main effleure l’intimité adverse. Le tout en silence, l’enregistrement étant privé de son. Une certaine harmonie émane de la scène. Rien de malsain. Juste deux gamins emportés par leurs désirs.
Le manège s’éternise jusqu’à ce que leurs deux visages se tournent vers une zone située hors champ. Je me dis qu’il s’agit du troisième larron et je ne me trompe pas. Celui qui doit être Aymeric Dedieu se penche vers sa belle pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. L’adolescente continue de fixer l’intrus invisible, puis elle sourit et acquiesce d’un signe de tête.
Un autre corps pénètre dans le cadre, lui aussi dans le costume d’Adam et la face dissimulée, mais cette fois par un masque inquiétant, celui tiré de Scream. Les deux premiers n’ont pas besoin de se pousser, la couche est bien assez vaste pour supporter les trois. Maëlys Jarric se retrouve entre eux, mais elle ne semble pas troublée. Commence alors un spectacle digne des productions Dorcel.
Mon attention se remobilise quand Aymeric prend l’initiative de dévoiler les traits de la gamine en faisant glisser son loup vers le haut de son crâne alors que ce dernier accomplit des mouvements réguliers et verticaux entre ses jambes. La pauvre ferme les yeux et n’a pas l’air préoccupée par la disparition de son masque. C’est bien normal, elle ne se doute pas qu’une caméra enregistre la scène.
Le film se poursuit jusqu’à ce qu’Aymeric atteigne la félicitée, sa copine ne semblant pas en reste au regard de sa respiration haletante. Pendant tout ce temps, je m’attache à analyser la conduite des jeunes hommes en privilégiant celle de Guilhem Canillac. Même s’il m’est difficile de pouvoir l’affirmer avec certitude, j’ai l’impression qu’il passe le plus clair de son temps à mâter son ami plutôt que sa compagne, et ceci même lorsqu’il l’entreprend à son tour.
Je reviens en arrière et revisionne le tout en lecture rapide pour appuyer sur pause quand le même accomplit un geste furtif qui m’a d’abord échappé. C’est là, il pose une main sur celle d’Aymeric, alors que ce dernier est allongé sur le dos avec la tête de sa belle entre ses jambes. Guilhem est imbriqué au-dessus d’elle, la poitrine collée contre sa colonne vertébrale. On pourrait croire que ce mouvement n’est pas intentionnel, mais en le décortiquant, je réalise que Guilhem n’a pas juste cherché à maintenir son équilibre. Pendant un court instant, il a saisi les doigts de son camarade. J’arrête le film.
Que faire de cette découverte ? Suffit-elle à conclure en l’homosexualité refoulée de notre suspect ? Difficile à affirmer. Et je trouve d’ailleurs délicat de m’en servir, m’imaginant déjà en train de reluquer ce film en compagnie de mon taulier et de la juge d’instruction, une baguette à la main pour souligner les diverses attitudes équivoques du jeune homme. Sans compter que l’exercice serait encore pire si cet élément était finalement retenu, m’obligeant à réitérer la démonstration en pleine cour d’assises. Non, faut juste espérer que les indices que nous réussirons à rassembler se révèlent suffisants pour nous éviter ce supplice. Cela dit, j’estime néanmoins ne pas avoir perdu mon temps en examinant le contenu de la clé. À défaut de prouver que Guilhem Canillac entretenait une relation amoureuse avec la victime, elle semble conforter la thèse formulée par Moki d’une sexualité refoulée. Un bâillement m’arrache la mâchoire, mes paupières s’alourdissent. Je ne pensais pas que ce film parviendrait à m’apaiser, bien au contraire, mais c’est pourtant le cas. Ou peut-être n’est-ce pas son visionnage mais simplement l’impression d’avoir avancé dans l’enquête. En tout cas, il est temps de revenir vers ma couche.
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Bonsoir je viens de découvrir ce projet dont j’ai dévoré les 24 chapitres d’une traite !
Vivement le 25eme!
Intrigue prenante . Les parallèles entre les différents personnages les rendent attachants .
Merci pour cette belle découverte littéraire .
Bonne soiree
Bonjour Catherine et merci beaucoup pour votre retour! Promis, je vais continuer à publier les chapitres ! Je vous souhaite une très belle journée.