« Séquences mortelles » de Michaël Connelly : un bon chasseur connaît sa proie.

Depuis plus de vingt ans, Michaël Connelly m’accompagne et maltraite les tablettes de ma bibliothèque. Je ne m’en cache pas, chacune de ses parutions est pour moi un évènement et je ne manque jamais de me la procurer pour m’empresser de rejoindre son univers. J’apprécie particulièrement toute la série des Harry Bosch, bien entendu, mais j’aime tout autant les aventures de l’avocat Mickey Haller, son demi-frère, ou encore celles du journaliste Jack McEvoy dont il est question ici. C’est donc avec un grand plaisir que je chronique pour la première fois un livre de Michaël Connelly, à mon sens un des maîtres du roman policier contemporain, en tout cas un de ceux qui m’inspirent (avec Philip Kerr et Dennis Lehane). En quelque sorte, je le vois comme un mentor, un exemple à suivre, étant entendu que je ne pourrais mourir en paix qu’après avoir publié un texte à la hauteur de son plus mauvais bouquin. Cela dit, je dois bien avouer que je suis bien en peine de trouver lequel, car le bougre domine son art dans une régularité désespérante.

Pardon pour cette introduction consacrée essentiellement au bonhomme, mais je pense qu’elle peut éclairer ceux qui, parmi vous, n’ont jamais ouvert un de ses livres. Et j’aurais quand même été frustré de ne pas faire étalage de tout le respect que j’éprouve pour lui, après tout ce chemin parcouru ensemble… Mais trêve de digressions ! Parlons à présent de l’essentiel, son dernier roman.

Comme souvent, le prologue nous jette au cœur de l’intrigue. Après une nouvelle rencontre dans un bar de Los Angeles, une jeune femme invite un homme chez elle et ils passent un bon moment. Après le premier round, le type rejoint les toilettes et elle se dit qu’il va s’éclipser. Mais non, le voilà de retour sous la couette, c’est plutôt inhabituel, voire un peu embarrassant. Quand il se love contre son dos, elle s’interroge. Juste le temps qu’il lui brise le cou.

Nous sommes donc en présence d’un affreux tueur en série qui préfère le meurtre à la galipette, même si, apparemment, ça ne le gêne pas trop de s’y adonner à l’occasion. L’identifier constituera le moteur de l’histoire, tout comme la compréhension de ses motivations. Rien d’original jusque-là, sauf que ça fonctionne toujours à merveille, surtout quand Michaël Connelly manie la plume.

Notre auteur s’écarte néanmoins des sentiers battus (légèrement) en faisant de son personnage principal un des suspects du crime. Pas de chance, Jack vit en célibataire depuis qu’il a compromis sa relation avec Rachel Walling lors du bouquin précèdent et, c’est vraiment la guigne, quelques semaines auparavant, il a passé une nuit avec la victime et même échangé quelques messages avec elle. C’est bien suffisant pour que deux inspecteurs du LAPD déboulent chez lui pour l’interroger et prélever son ADN. Bref, voilà notre héros dans de beaux draps. Au lieu de s’en inquiéter, car après tout il est bien placé pour savoir qu’il est innocent, il va se jeter à cœur perdu dans l’aventure en flairant le bon papier. Et c’est une de ses caractéristiques, quand Jack commence à suivre une piste, il ne la lâche jamais, au mépris de tous les dangers. Heureusement, il ne sera pas seul à les affronter et une équipe se constitue rapidement autour de lui, d’abord avec ses collègues de la revue d’information en ligne Fair Warning, Myron Levin, son rédacteur en chef, et Emily Atwater, une journaliste comme lui (une précision ici sur Fair Warning : ce site internet existe vraiment ! Une note nous le révèle à la fin du roman et il suffit de cliquer sur ce lien pour le constater, Michaël Connelly étant membre de son conseil d’administration. Ce point nous permet de souligner une de ses marottes, sa tendance à flouter les frontières entre réalité et fiction. J’aime bien, car je trouve que ça renforce la crédibilité du tableau tout en nous offrant des clins d’œil amusants. Un autre exemple : dans ce véritable univers parallèle digne des plus grandes œuvres de l’imaginaire, Jack McEvoy est l’auteur des best-sellers « Le poète » et « L’épouvantail », et non Michaël Connelly… Ce dernier ayant commencé sa carrière en tant que journaliste, on peut postuler que Jack est certainement son double fictionnel, celui de ses personnages qui est le plus proche de lui).

Pour achever la galerie de portraits (du moins les plus importants) et pour notre plus grand plaisir, Jack sollicite également Rachel Walling, l’ancienne agente du FBI reconvertie en détective privée. Michaël Connelly bichonne ses lecteurs. Il les connaît par cœur et il sait qu’une enquête avec Jack serait bien fade sans sa Rachel. Alors il nous offre ce petit cadeau et ça fonctionne à merveille. Il décuple notre curiosité déjà bien exacerbée par cette histoire de « cou tordu ». Une nouvelle question nous taraude donc en assistant au développement de cette collaboration : permettra-t-elle leur réconciliation ? (Mais non, je ne suis pas fleur bleue…)

Une fois ce tableau bien en place, il est temps d’aborder le déploiement de l’intrigue. Michaël Connelly parviendra-t-il à maintenir notre intérêt tout le long, voire à le conforter ? Et au dénouement, les problèmes rencontrés obtiennent-ils des résolutions à la hauteur ? Je ne suis pas dupe. Notre auteur est bien trop doué pour que j’arrive vraiment à susciter, comme lui, une quelconque tension avec mes propres interrogations, et vous ne serez donc pas trop surpris que je réponde à toutes par l’affirmative. Car Michaël Connelly maîtrise son art. Les pistes qu’il nous propose filent en toute logique. Elles s’entrecroisent, s’influencent, voire s’entrechoquent avec justesse pour ciseler un nouveau diamant dont toutes les facettes finissent par nous éblouir. En chemin, il prend soin d’enrichir son histoire par une instruction très documentée de sujets à la fois pointus et actuels. L’identification génétique et ses enjeux, l’exploitation de l’ADN et les failles de sa régulation (un peu comparables au retard pris dans le secteur du numérique qui a permis aux GAFAM d’accroître leur pouvoir pour finalement à présent menacer nos démocraties…), l’éclairage donné à la sous-culture « incel » (néologisme construit autour de l’expression anglaise involuntary celibate, ou célibataire involontaire en français) et de son rapport pathologique au sexe opposé, tous ces thèmes sont abordés et développés dans ce récit, renforçant son nœud tout en offrant un point de vue intéressant sur des débats contemporains essentiels comme la place des femmes dans nos sociétés ou encore la protection de la vie privée. En conclusion, Michaël Connelly ne se contente donc pas de proposer un divertissement de plus aux inconditionnels de la littérature policière dont je suis (même si c’est déjà beaucoup !), il apporte également sa contribution à des sujets importants. Comme toujours, il le fait sans lourdeur excessive, dans son style habituel, simple, efficace, sans prétention, juste soucieux de trouver le bon équilibre entre notre besoin d’évasion, le suspense et une description pertinente des univers explorés, autant géographiques (la visite de Los Angeles est toujours aussi immersive !), juridiques (en n’ayant pas peur de se frotter aux diverses lois et autres règlements régissant les enquêtes et procès de son pays), que, nous l’avons vu, scientifiques. En nous prenant par la main, il nous emporte donc dans une lecture qui nous offre toujours autant de plaisir. Alors, vraiment, un grand merci à vous, Monsieur Connelly ! Et surtout, vivement le prochain !

Stéphane Furlan

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Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

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