La Brigade des Crimes Parfaits – Chap. 7

20 h 27

            Ces mots m’ont transporté, provoquant des images d’un film d’une réalité saisissante. Difficile après ça de remettre en doute son récit. Je me dis néanmoins qu’on pourra en vérifier la teneur en interrogeant l’opératrice qui a reçu son appel. Face à moi, le gamin a porté ses deux mains devant son visage. Il paraît bouleversé.

            — Pendant tout ce temps, tu es resté en contact avec la femme des urgences ?

            — Oui, confirme-t-il en se redressant. Jusqu’à ce que je quitte mon trou pour rejoindre les gars du SAMU et la police.

            — Donc, ils t’ont vu débouler du parc ?

            — Ils ont été un peu surpris, mais je leur en ai expliqué la raison et le médecin qui était là a convenu que j’avais bien fait. Ma correspondante téléphonique m’a alors demandé si elle pouvait lui parler et ils se sont entretenus quelques instants.

            Ça aussi, nous pourrons le vérifier, songé-je.

            — Et puis, deux agents ont pénétré dans la bâtisse avant d’en ressortir très vite pour permettre aux secours d’intervenir. D’autres patrouilles ont débarqué entre temps, dont une inspectrice en civil. Je suis revenu dans la maison avec elle et le docteur, puis nous sommes montés dans cette chambre, d’abord pour m’examiner. Quand il est apparu que je n’étais pas blessé, enfin pas gravement, votre collègue m’a interrogé pour comprendre la situation. Puis elle m’a prié de rester là et je n’ai pas bougé jusqu’à votre arrivée.

            — C’est bien, Guilhem, lui dis-je, à la fois pour récompenser son effort et le réconforter. Ton exposé était très clair. Ça va nous aider.

            Il hausse les épaules, signifiant sans doute que c’était la moindre des choses. En repensant à son récit, je me remémore les propos du jeune substitut. Selon lui, le gamin n’a pas contacté son père depuis la découverte du crime. Autant éprouver tout de suite cette version avec celle du second protagoniste de cette conversation hypothétique.

            — Bon, reprends-je. Si je comprends bien, t’as appelé le quinze et personne d’autre jusqu’à maintenant.

            Guilhem relève vers moi ses yeux myopes et diminués par l’épaisseur du verre de ses lunettes. Je n’arrive pas à déterminer si ma question le gêne.

            — C’est ça, se contente-t-il de me répondre.

            Il ne demande pas pourquoi je la pose, comme s’il s’en doutait déjà. Mais impossible de l’affirmer. Je décide de pousser le bouchon.

            — Tu n’as donc pas prévenu ton père, même quand tu t’es retrouvé seul dans cette chambre ?

            Son regard s’échappe vers ses pieds.

            — Non, dit-il.

            — C’est étonnant.

            — Pourquoi ?

            — Ben c’est ce que j’aurais fait, dans ta situation, si j’étais le fils d’un substitut du procureur.

            Il dénie d’un mouvement rapide du menton.

            — Votre collègue m’a explicitement prié de ne téléphoner à personne, explique-t-il. Je l’ai écoutée.

            — Et c’est très bien ! De toute façon, on pourra le vérifier en demandant un relevé des appels à ton opérateur.

            Il se crispe, c’est évident. Je vois ses deux mains agripper les accoudoirs de son fauteuil.

            — Tu n’avais pas pensé à ça ?

            Il garde le silence, les sourcils froncés. Ça doit être un beau chaos dans son crâne. Je me sens un peu méprisable de le pousser dans ses retranchements après ce qu’il a vécu, mais je me console en me disant que c’est bien peu payer au regard des bénéfices attendus, à savoir disposer d’un tableau le plus réaliste possible des derniers évènements. Il s’en remettra.

            — Allez ! insisté-je. Pourquoi nier ? Même si tu l’as contacté, qui pourrait t’en vouloir ? Estelle, ma coéquipière ? Je lui en toucherai deux mots et elle conviendra avec moi que ce n’est pas bien grave, surtout au regard de ce qui vient d’arriver.

            — Alors pourquoi me prendre la tête avec ça ? rétorque le jeune homme.

            — Parce qu’il est essentiel d’établir les faits.

            — Mais qu’est-ce que ça vous apporte de déterminer si j’ai appelé mon père, en l’espèce ?

            En l’espèce… Voilà un jargon digne de l’avocat qu’il aspire à devenir. Et qu’il doit regretter de ne pas avoir à ses côtés en ce moment. Je me lève, le faisant sursauter. Rien de tel qu’une différence de hauteur pour achever de déstabiliser son interlocuteur.

            — T’as raison, je ne vais pas perdre mon temps avec ce détail. Comme je te l’ai déjà dit, nous avons les moyens de vérifier et nous le ferons. Ainsi, ce qui t’apparaît insignifiant maintenant pourra revêtir une importance considérable si tu nous mens, car alors il faudra s’expliquer.

            Il hausse le menton et capte mon regard. Son visage transpire une panique évidente. Je me tais, lui offrant une ouverture qu’il finit par emprunter.

            — Bon, c’est vrai, convient-il en baissant les yeux. Je l’ai appelé quand je me suis retrouvé seul ici.

            — Pas trop tôt ! Pourquoi vouloir le cacher ?

            — Votre collègue…

            — Et c’est tout ?

            — Mais oui !

            Je postule plutôt que le substitut lui a certainement conseillé de garder le silence.

            — OK, t’as téléphoné à quelqu’un d’autre ?

            — Non !

            — Je te rappelle qu’on vérifiera.

            — Je vous assure que non !

            — Pourquoi t’as contacté ton père ?

            — Comme vous le savez, il est magistrat. Il fallait que je lui raconte tout. Le rassurer aussi sur mon état de santé.

            — Il a réagi comment ?

            Le gamin me regarde comme s’il hésitait à se jeter sur moi. Il ne comprend pas le cours pris par cette conversation et doit juger mon attitude inacceptable. Il lâche un long soupir avant de me rétorquer :

            — Il m’a réconforté.

            — C’est tout ?

            — C’est déjà beaucoup !

            D’accord, pensé-je. C’est le moment de virer de bord. Rien de mieux pour déstabiliser un interlocuteur, et ainsi saper ses défenses.

            — J’en conviens. Précise-moi maintenant quelle était la nature de ta relation avec Aymeric Dedieu.

            Il fronce les sourcils, n’appréciant certainement pas la brutalité avec laquelle j’ai changé de sujet.

            — Ben, je l’ai déjà expliqué à votre collègue, nous sommes amis. Depuis tout-petits. Nous étions dans la même école maternelle, c’est pour dire. Puis on a grandi ensemble, pas toujours dans des classes communes, mais on ne s’est jamais perdu de vue.

            — Puisque tu le connais si bien, sais-tu s’il avait des ennemis ?

            Il baisse les yeux. Ça doit faire tilt dans sa tête. Voilà le lien entre le coup de fil à son père et ma requête. Car je me doute bien de quoi ils ont parlé au téléphone.

            — Je crois pas…

            — Vraiment ? Réfléchis, ça va te revenir.

            Il continue à éviter mon regard, comme s’il attendait qu’une âme charitable lui souffle la bonne réponse. Je m’agace.

            — Maëlys Jarric, ça te dit quelque chose ?

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Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

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