Colin Niel – Entre fauves : passion sans raison n’est que ferment de barbarie

Une publication sur les réseaux sociaux suscite l’émoi des militants de la protection des animaux. Elle partage la photo d’un lion tué par flèche en compagnie de l’archère qui a réussi à l’abattre. En suivant, Colin Niel nous propose les destins croisés de Martin, garde au parc national des Pyrénées, Apolline, l’adolescente qui accompagne son père en Namibie pour s’adonner à la plus prestigieuse des chasses, et Kondjima, le jeune Himba dont le troupeau de chèvres a été décimé par le félin. Progressivement, le scénario opère un renversement jusqu’à une double résolution en Afrique et dans les Pyrénées.

Entre Fauves n’est pas mon premier roman de Colin Niel que j’ai découvert avec Obia juste après l’avoir rencontré, peu de temps auparavant, en 2014, lors de mon premier Toulouse Polar du Sud. Ça commence à faire un bail… Dans l’intervalle, Colin a enchaîné les succès jusqu’à voir un de ses livres, Seules les bêtes, adapté au cinéma (dans lequel il joue même un petit rôle ! Eh oui, je t’ai reconnu !). Jusqu’à présent, je n’ai jamais été déçu par sa plume et, en refermant Entre fauves, je suis convaincu que ce n’est pas près d’arriver…

Mais parlons de l’essentiel. Dans ce texte, j’ai particulièrement apprécié la richesse des descriptions, du contexte, de l’univers de la chasse, du mode de vie des Himbas, des enjeux de la protection des espèces dans les Pyrénées. Il est évident que Colin a travaillé ses sources pour en tirer la matière capable de nourrir son récit sans pour autant en alourdir la tension narrative. Une autre réussite de ce roman réside dans la profondeur des personnages, lion compris (à ce sujet, j’ai adoré tous les passages où Charles tient la vedette !). Tous sont portés par leur passé qui explique chacun de leurs choix. Ainsi, l’auteur écarte la facilité d’un manichéisme moralisateur, même quand il aborde une pratique qui lui est étrangère, la chasse aux grands fauves qu’il serait sans doute tenté de condamner au premier abord, à l’image de Martin, le plus militant de ses personnages. Mais à la suite d’Apolline, on comprend rapidement que cette traque, même si elle passionne les chasseurs et réveille certains de leurs instincts les plus primaires, les mêmes qui ont réussi à nous hisser au sommet du règne animal, illustre avant tout le sujet délicat de la cohabitation des hommes avec des prédateurs qui, à d’autres époques, parvenaient encore à disputer notre hégémonie. Elle respecte donc une légalité qui permet de recourir à l’expertise de professionnels quand des lions perpètrent trop de dégâts dans le cheptel des peuplades locales malgré des tentatives préalables et infructueuses d’éloignement. Bien entendu, ceux qui contemplent une simple photo postée sans plus d’explications sur Internet ne disposent pas de toutes ces clés et ne voient donc dans cette mise à mort que l’illustration d’une intolérable barbarie (au passage, Colin Niel nous offre en cela un exemple édifiant d’un des biais les plus épineux des réseaux sociaux qui, en permettant d’échanger des informations simplistes, créent de nouvelles tribus irréconciliables). Les révoltés peuvent ainsi exprimer leur haine et exacerber le nœud du roman, celui qui se résoudra dans une autre chasse encore plus inhumaine.

Ici réside, à mon sens, le sujet principal de ce livre : le fanatisme. Et dans ce roman, il n’en est que plus troublant, car familier dans sa défense d’une cause juste et de plus en plus partagée, à savoir la lutte contre la disparition des espèces, peut-être un des plus grands enjeux de notre époque (avec le réchauffement climatique, abordé aussi dans ce récit, d’ailleurs…). Nous sommes donc à des lieux de l’exotisme religieux qui en a poussé d’autres à perpétrer des massacres dans nos villes, et pourtant… Ainsi, du moins au début de l’aventure, nous avons plutôt tendance à suivre avec sympathie Martin et ses emportements. Nous les trouvons tout à fait justifiés, puis le tableau se précise et le malaise s’installe. Bientôt, nous pressentons que la ferveur du militant cache d’autres fêlures et qu’elle va le conduire à commettre des actes bien plus condamnables que ceux qu’ils dénoncent. Voilà la morale de l’histoire, la leçon donnée par Colin Niel, sa mise en garde : notre raison ne doit jamais lâcher la bride à nos passions, même celles fondées sur les plus justes des causes, sous peine d’ouvrir nos portes à la barbarie.

Pari réussi ! Chapeau l’artiste !

Stéphane Furlan

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Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

7 commentaires sur « Colin Niel – Entre fauves : passion sans raison n’est que ferment de barbarie »

  1. belle chronique pour un auteur que j’apprécie tout comme toi ! 🙂 Pour ma part j’avais découvert l’auteur avec  » ce qui reste en forêt » puis  » sur le ciel effondré ». dépaysement complet ! tiens, vous que tu frequentes Toulouse Polar des Sud il faudra qu’à l’occasion on s’y retrouve vu que j’y vais chaque année 😉 bien à toi !

  2. Alors moi je dois être un dangereux fanatique car j’ai mieux compris Martin et Kondjima qu’Appoline que j’ai franchement détesté. Je me demande encore qui est le plus barbare entre un gars, certes un peu excessif, qui protège les animaux ou un jeune berger namibien qui a de bonnes raison de tuer le lion et une fille à papa friqué qui a comme passion d’abattre des animaux sauvages juste pour son bon plaisir. Ce bouquin est un de ceux qui m’ont fortement agacé tout en lui trouvant quelques qualités. J’explique plus en détail cela dans ma chronique ici : http://ray-pedoussaut.fr/?p=18507.
    Bien cordialement.

    1. Bonsoir. J’ai lu votre chronique et je trouve que votre point de vue se soutient tout à fait. C’est vrai qu’on a du mal à comprendre Appoline, mais c’est peut-être parce que Colin Niel connaît beaucoup moins bien l’univers des chasseurs, même s’il s’est documenté, par rapport à celui des défenseurs de l’environnement (très bien maîtrisé au regard de son ancienne profession). Cela dit, je trouve que c’est quand même très fort de sa part d’accepter le point de vue de ses personnages en tentant de ne pas porter de jugement a priori. Et puis, malgré tout, je suis d’accord avec lui quand il ne place pas sur le même plan les deux chasses auxquelles ce livre nous permet d’assister.

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