La Brigade des Crimes Parfaits – Chap. 2

18 h 11

La Mégane noire trace dans les rues de Toulouse lessivées par une averse, se faufilant dans la circulation clairsemée de la fin de week-end. Heureusement, j’ai convaincu Serge d’épargner mes tympans en n’allumant pas les sirènes, arguant que la scène de crime peut bien nous attendre puisqu’une fournée de collègues est déjà sur place pour la sécuriser. Il a rechigné mais s’est exécuté, ce qui ne l’a pas dissuadé pour autant de fixer sur le toit le gyrophare grâce auquel il parvient à terroriser les automobilistes nous précédant, les pauvres se rangeant sur les bas-côtés dès qu’ils nous voient débouler dans leur rétroviseur à une vitesse indécente. Quant à ceux que nous arrivons encore à surprendre, mon coéquipier les martyrise d’une rafale de klaxons qui les abandonne dans notre sillage, haletant et frisant l’accident cardiaque. En somme, alors que je m’accroche à la poignée intérieure de la portière, mon chauffeur s’amuse comme un fou, calmant ses nerfs dans cette course effrénée.

            Passée la période d’adaptation nécessaire à me remettre dans le bain, et surtout à repousser l’idée que notre virée peut s’interrompre à tout moment par un dérapage incontrôlé s’achevant contre un parechoc quelconque, je réalise que Serge vient d’allumer la radio et que la voix de Bigard tente de détendre l’atmosphère en nous confiant ses soucis sexuels. Un thème sans doute intéressant, mais qui, dans le contexte, ne peut qu’accroitre ma déprime. Je résiste juste le temps de remonter le boulevard des Minimes le long du canal du Midi et décide de risquer les foudres du conducteur en éteignant le son quand le véhicule tourne vers le Faubourg Bonnefoy, avant la gare Matabiau.

            — Ben qu’est-ce que tu fous ? proteste Serge, me lançant un regard sombre au-dessus de sa moustache touffue.

            — Faut qu’on parle.

            — Ça peut pas attendre ? Elle est drôle, celle-là…

            — J’ai pas envie de rire.

            — C’est à cause de Sophie ? Elle t’a encore fait des misères ?

            — Il y a de ça… Et puis c’est dimanche soir. Je ne vais pas voir mes filles pendant une semaine.

            — Et alors ? Tu sais, moi, mes gamins, depuis qu’ils se sont barrés de la maison, le nombre de leurs visites annuelles se compte sur les doigts d’une main. Curieusement, Béatrice et moi, on s’est habitué assez vite. Tu peux pas imaginer comment on est tranquilles, maintenant…

            — Tes fils n’ont pas abandonné le nid à neuf et cinq ans !

            — Ben j’aurais bien aimé, en fait, tellement ils étaient pénibles.

            Il parvient à m’arracher un sourire. Le premier depuis que j’ai quitté mon ancien appartement des Carmes. La voiture laisse la butte de Jolimont sur notre droite pour plonger vers Croix Daurade.

            — Bon, je peux rallumer la radio ? tente-t-il.

            — Je préfère que tu me parles du crime.

            — Pourquoi ne pas attendre qu’on arrive ?

            — J’aime bien savoir où je mets les pieds.

            Il souffle, mais finit par s’exécuter.

            — OK. Le macchabée s’appelle Aymeric Dedieu, vingt-quatre ans et encore étudiant en droit. Spécialisé dans la fiscalité, si ma mémoire ne me joue pas des tours. Fils unique de Nathalie et Jean-François Dedieu, des bourges qui se contentent de gérer une fortune constituée depuis des lustres dans l’exploitation de grandes parcelles agricoles.

            — On va visiter la haute.

            — C’est ça.

            — Tu m’as dit que le gamin a mangé du plomb ?

            — Par trois fois. Une balle dans la nuque, deux dans le cœur.

            — Travail de pro.

            — Ça m’en a tout l’air. En tout cas, le tueur n’a pas tremblé. Efficace, pas de fioritures.

            — Un contrat ?

            — À voir…

            — Qui a découvert le cadavre ?

            — Un ami de son âge. Guilhem Canillac.

            — Canillac ?

            — Ouais, t’as bien entendu. C’est le fils du substitut du procureur.

            Un sifflement s’échappe de mes lèvres pendant que nous longeons le lycée Raymond Naves. La circulation se faisant plus dense, Serge ne résiste pas à l’appel du klaxon, parvenant non sans mal à s’imposer entre deux files de voitures immobilisées pour bientôt franchir au rouge les feux placés devant les accès à la rocade. Nous la laissons derrière nous en passant le pont pour pénétrer dans la commune de l’Union.

            — On n’est pas dans la merde, commenté-je, une fois cet obstacle dans le rétroviseur.

            — Ouais, faudra aussi gérer ça. Je pense qu’il ne va pas tarder à se pointer, s’il n’est pas déjà là.

            — Je comprends mieux pourquoi t’as insisté pour que je vienne.

            — Je voulais pas que tu manques ça.

            — Bien sûr.

            Un peu stressé et conscient que nous touchons au but, je baisse légèrement la vitre, indifférent aux gouttes de pluie qui arrivent à s’infiltrer dans l’habitacle. Je sors une des cigarettes confectionnées à l’avance de la blague contenant ma réserve de tabac et l’allume dans la foulée. Nous empruntons la D61 qui nous conduira sur la colline dominant la plaine urbanisée.

            — Eh ! Mais t’es pas bien ? Tu peux pas attendre, on y est presque !

            — C’est ça, le problème. Ce que tu viens de m’exposer me laisse penser que j’aurais pas trop le temps d’en cramer une quand on sera là-haut.

            — Rien à foutre ! C’est interdit de cloper dans les caisses ! Et le respect ?

            — Me prends pas la tête. Je suis un pro dans l’évacuation des fumées. Tu sentiras rien, promis. Dis-moi plutôt comment ce Guilhem Canillac a découvert son ami assassiné.

            Serge grommelle un moment dans ses poils, serre ses mâchoires de bovin, et je redoute un instant qu’il ne décroche plus un mot jusqu’à la villa des Dedieu, confirmant une fois encore sa réputation de râleur patenté. Il me détrompe juste quand nous commençons l’ascension d’une route en lacets qui doit faire le bonheur des motards, ou des cyclistes du dimanche, ceux-là pouvant se raconter qu’ils gravissent un col des Pyrénées pendant une étape du tour.

            — Faudra fouiller, mais il affirme qu’ils avaient rendez-vous à dix-sept heures pour préparer une fête. Le gamin a sonné, mais personne n’a répondu. Il a remarqué que la porte était ouverte et il est entré. Il a trouvé la victime dans la cuisine.

            — Canillac était seul ? je lui demande, après avoir aspiré une longue bouffée de nicotine.

            — Oui. Il y a une maison de gardiens à l’entrée de la propriété, mais ils ne sont pas là.

            — Pourquoi ?

            — On ne sait pas encore. On tente de les contacter.

            — Donc, pas d’autres témoins ?

            — C’est ça. Tu saisis mieux le blême ?

            — Et comment ! Notre futur entretien avec le substitut risque d’être tendu.

            — Parce qu’on ne peut pas exclure son fils des suspects potentiels à ce stade.

            — D’autant plus que, pour l’instant, ils ne se bousculent pas au portillon, je conclus, en lançant la cigarette par la fenêtre.

            Alors que je pensais dix minutes plus tôt que cette excursion avait au moins le mérite de me changer les idées, je comprends à présent qu’elle va siphonner toute l’énergie qu’il me reste. Je commence à regretter de ne pas avoir regagné mon appartement.             Une fois atteint le sommet de la colline, Serge vire de bord pour emprunter une petite route sur notre gauche. En face de nous s’étend la grande plaine toulousaine gavée de maisons individuelles qui repoussent toujours plus loin les terres agricoles. Je vois aussi les zones commerciales qui longent l’autoroute de Paris et, presque à l’horizon, la masse imposante des hangars d’Airbus. La voie goudronnée passe à la lisière d’un bois juché sur le flanc de la butte. Des chemins privés s’enfoncent entre les arbres. Nous prenons le troisième.

Traitement en cours…
Terminé ! Vous figurez dans la liste.

Publié par stephanefurlan

Passionné de littérature noire, science-fiction et fantastique, j'écris depuis de nombreuses années. En 2014, je publie mon premier roman "Ville rose sang" aux Éditions Cairn et j'ai la chance d'être récompensé par le Prix de l’Embouchure. Dans la foulée, deux autres romans sont édités dans la collection Du Noir au sud, "Sans jeu ni maître" en 2015 et "Implantés" en 2017. Mon dernier livre, "Couru d'avance", est publié en 2020 chez Librinova.

Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :